j’ai passé ben du temps
au téléphone pour faire taire mes rêves
la planète était toute tendue
dans les couloirs des buildings
pleins d’ascenseurs qui crashaient
leurs directeurs de compagnies
dans les deuxièmes sous-sol de junk
j’avais la frayeur du sang et de la barrière
du son
une étoile électrocutait mon doigt
fêlé par un slapshot hier
le diable était dans le ruisseau
et je ne m’y baignais plus
je rêvais de californie
des gens sur qui je me trompais pas
de beaux chemins de fer et
de voir double
j’ai dit : un vieux monde ou
un nouveau monde
c’est juste la même merde
le même hachoir à viande
après
avec mon amplificateur sous le bras
dans les dunes de sable infecté
j’ai pleuré les morts
qui furent rien de plus qu’un râle
les garçons de la classe qui n’avaient
jamais brisé le cœur de personne
les cœurs sucrés
qui s’étaient échafaudés
dans le vide de l’agitation
je t’ai appelé :
pourquoi tu viens pas mourir
comme un train à mes côtés
me semble que tu goûtais
comme la glace sur les voûtes du monde
y reste rien
même que les cassettes pornos
touchent pas encore à l’absolu
même que le monde est petit
faque barre tes portes en partant
même que l’étincelle du bic
est cachée dans ton gâteau surprise
même que l’étincelle égorgeuse
se tapie dans les yeux des enfants
ma pièce de lune est en amour
Un poème où se croisent les rêves d’aventure et le sentiment du vide.
1. Selon vous, quelle fut la source d’inspiration de ce poème : la nature ou la ville ?
2. Le poète Shawn Cotton explique que ses poèmes oscillent entre le désespoir et le rire. Que pensez-vous de ce poème-ci ? Quelles images vous semblent drôles ? Lesquelles vous semblent désespérées ?
3. Le narrateur du poème évoque à quelques reprises ses « rêves ». Il rêve aux choses, aux lieux, aux personnes qui lui manquent et ce manque s’exprime par une écriture qui adopte les formes négatives (« pas », « plus », « jamais », « rien », etc.). Dénombrez les occurrences de négations dans ce poème en remarquant que le poète omet parfois le « ne ».
4. Ce poème se déploie vraisemblablement dans un environnement urbain. Son lexique est influencé par la présence de nombreux objets familiers, de nombreuses réalités propres à la ville. Néanmoins, la nature fait quelques apparitions. Repérez-les et demandez-vous si la nature est représentée de façon positive ou négative.
Conseil de récitation
Le poème embrasse son appartenance au dialecte traditionnel québécois, le joual, ainsi certains termes d’argot québécois s’y retrouvent (« junk » « faque que », etc.). Afin de le réciter, il pourrait être intéressant de conserver les intonations et accentuations naturelles de votre langue, c’est-à-dire votre voix normale, celle de tous les jours. En le récitant, tâchez de faire sentir le côté familier, presque intime, du poème.
Exercice d’écriture
À la manière de Shawn Cotton, laissez-vous inspirer par les espaces urbains qui vous entourent (si vous vivez en ville évidemment, si ce n’est pas le cas, imaginez-les !). Essayez d’inclure dans votre poème une abondance d’objets, de choses qui caractérisent précisément la ville. Même si ces choses vous semblent trop « normales », comme un téléphone ou un ascenseur, laissez-vous aller et vous verrez quel potentiel poétique elles renferment.
Liens utiles
- Shawn Cotton récitant des extraits du recueil Jonquière LSD :
- Lecture provocatrice de Denis Vanier à la nuit de la poésie de 1970 :
Shawn Cotton, « j’ai passé ben du temps », Jonquière LSD, Éditions de l’Écrou, 2010.